C’est une réalité dont on parle de plus en plus : les entreprises ont un rôle social à jouer dans nos sociétés. Souvent, parce qu’elles pourvoient des emplois et, donc, contribuent à l’équilibre social. Néanmoins, cela peut aller plus loin lorsqu’on inclut l’engagement directement dans son modèle économique.
Entreprise pionnière dans l’inclusion professionnelle des réfugiés, Les Cuistots Migrateurs montrent l’exemple en déconstruisant un falafel après l’autre, les idées reçues sur l’accueil des réfugiés en France, leur intégration dans le marché du travail et leur apport dans un contexte d'inquiétude économique et de fracture sociale. Cas d’école (de cuisine).
À leur échelle, loin des clichés et des polémiques habituelles, les entrepreneurs peuvent avoir un impact positif et durable sur la société en s’engageant à jouer un rôle, au-delà même de leur ambition économique. La preuve avec Les Cuistots Migrateurs.
« Dès le début, nous savions que nous voulions avoir un projet avec une dimension sociale, » se souvient Louis Jacquot, le fondateur des Cuistots Migrateurs. Il ajoute : « Néanmoins, à l’époque, nous ne savions même pas si le statut « réfugiés » permettait d’employer ces gens légalement. » Depuis, nous savons et il est fondamental de toujours rappeler la différence entre un migrant et un réfugié.
Selon les Nations Unies, le migrant définit toute personne vivant en dehors de son pays de naissance, pour des raisons économiques, familiales ou autres. Protégé par la Convention de Genève, le réfugié, lui, a fui son pays en raison de persécutions ou de conflits, et bénéficie en France d’une protection juridique spécifique.
L'un peut être un demandeur d'asile, l'autre est un demandeur d'asile à qui on a accédé positivement à sa requête. Tous ont accès à des dispositifs d'accueil, partout en France et selon les situations.
Contrairement aux idées reçues, l'accueil des réfugiés statutaires en France est encadré et s'accompagne de droits sociaux. Avec ce statut, ils peuvent théoriquement avoir accès à l'emploi et à une formation linguistique. Pour autant, l'intégration professionnelle reste difficile… mais pas impossible quand la volonté entrepreneuriale est là.
« Alors que nous avions même pas encore de statut pour notre entreprise, nous sommes allés à la rencontre d’associations comme France Terre d’Asile, Singa, et d’autres, explique Louis-Jacquot. Nous avons pris le temps de discuter avec des réfugiés et des demandeurs d'asile. » Ces rencontres ont confirmé une vérité simple : ces personnes qui ont fui leur pays d'origine pour se retrouver en France - généralement par hasard - sont toujours très volontaires et motivées.
Chaque milieu professionnel a ses particularités mais, bien souvent, la maîtrise de la langue française est un frein à l’intégration. Dans un milieu où il est difficile de recruter, comme la restauration, ces personnes sont trop souvent cantonnées à des postes subalternes car perçues avant tout comme une main-d’œuvre bon marché. Avec un peu plus d’attention, notamment sur l’apprentissage de la langue, leur intégration pourrait être facilitée et leur contribution valorisée.
Aux Cuistots Migrateurs, chaque chef signe un contrat à durée indéterminée et on leur permet d’être moteur dans le projet de l’entreprise en valorisant leur culture et leurs recettes. Louis Jacquot : « Notre objectif, ce n’est pas seulement de donner du travail, mais de redonner confiance avec cette démarche. »
Face aux raccourcis sur les étrangers et le travail en France, les entrepreneurs qui s’engagent, comme Les Cuistots Migrateurs, ont de quoi déconstruire les idées reçues.
L’idée selon laquelle les immigrés « volent » le travail des locaux est une ritournelle persistante. La réalité économique démontre pourtant le contraire et les métiers en tension – restauration, service à la personne, bâtiment – peinent à recruter, malgré le taux de chômage.
Aux Cuistots Migrateurs, les réfugiés occupent souvent des postes de cuisiniers, apportant leur savoir-faire et répondant à une demande non comblée. Pour autant, tout n’est pas simple est l’implication de l’entrepreneur est primordial. Louis-Jacquot : « Au départ, on pensait trouver des cuisiniers d’expérience venus des quatre coins du monde. En réalité, il fallu encadrer, former et accompagner des gens qui, au-delà du niveau de français, n’avaient souvent pas d’expérience en cuisine professionnelle. Forcément, cela prend du temps. »
Néanmoins, il faut le préciser, si la volonté de les recruter relève de l’engagement, c’est la croissance de l’entreprise et le volume d’activité qui dicte le rythme des recrutements. L’origine est bien le besoin de répondre à la demande suite au succès de la structure - sans aide institutionnelle, on le précise.
« Quand tu as un engagement sociétal ou environnemental, tu t’imposes une contrainte supplémentaire, explique Louis. Ça vient assez rapidement en confrontation avec des notions économiques, de rentabilité, d’optimisation. Il faut trouver l’équilibre. » Il faut, par exemple, prendre en compte le besoin qu’ont nos cuisiniers réfugiés de se rendre à la préfecture ou d'effectuer des démarches supplémentaires pendant les horaires de travail.
Néanmoins, les répercussions de cet engagement sont sans égale. Chez Les Cuistots Migrateurs, la cuisine (le lieu) est ainsi un puissant vecteur d’intégration et de dialogue. Grâce à la diversité des profils qui se rencontrent derrière les fourneaux, des histoires se créent et des personnalités s’épanouissent. Louis Jacquot le souligne : « Ce qui frappe le plus, c’est la capacité de nos chefs à tisser du lien, à transmettre leur culture et à éveiller la curiosité de nos clients ». Il y a un ancrage qui se crée. Des familles s’installent et une nouvelle génération de français enrichit alors les territoires dans lesquels elle s'implante.
Être un entrepreneur engagé en 2025, c’est choisir de regarder les problèmes de la société non pas sous l’angle de la menace, mais sous celui de l’opportunité. Ou du défi. Comme Les Cuistots Migrateurs, il s’agit de poser le cadre d’une réussite entrepreneuriale en harmonie avec la réalité de parcours personnels atypiques.
Les Cuistots Migrateurs se sont ainsi développés sans subventions spécifiques ou partenariat avec des institutions publiques. « Le développement s'est fait sur les ventes, l'activité - sur les bases normales d'une entreprise, » rappelle ainsi Louis-Jacquot avant de confirmer une trajectoire gagnante : « Et, oui, on continue à être en croissance ! » Avec cet état d’esprit, Les Cuistots Migrateurs ont ainsi bâti un modèle où le succès économique rime avec impact social. Exemple à suivre ? En tout cas, la recette existe.